Un tournant dans l’histoire du féminisme britannique
Alors que le mouvement pour le droit de vote des femmes gagnait en ampleur au début du XXᵉ siècle, un événement tragique et déterminant poussa les suffragistes à repenser leur stratégie. Le 18 novembre 1910, connu sous le nom de « Vendredi Noir », marque un moment de violence inouïe : trois cents militantes, venues réclamer l’égalité devant le Parlement britannique, se heurtèrent à la répression brutale de la police métropolitaine. Blessées, arrêtées et parfois forcées à l’alimentation nasale, ces femmes comprirent qu’il leur fallait plus que des pancartes et des pétitions pour assurer leur sécurité et faire entendre leur voix.
Les origines du « Suffrajitsu »
En coulisses, une pionnière de l’autodéfense, Edith Garrud, ouvrit dès 1906 un dojo de jiu-jitsu à Londres, avec son mari. Formée en 1899 auprès du tout premier professeur de jiu-jitsu installé en Europe, elle possédait une maîtrise technique rare en Angleterre. Lorsque des suffragistes lui demandèrent de leur enseigner cet art martial, Garrud saisit l’opportunité de « mettre un coup de poing » à l’injustice et au risque de violences physiques.
- 1906 : premières séances de jiu-jitsu réservées aux militantes du WSPU.
- Terminologie « Suffrajitsu » : contraction de suffragette et jiu-jitsu, adoptée par la presse britannique.
- Objectif central : permettre à chaque femme, même la plus frêle, de se défendre face à un adversaire plus fort.
Un apprentissage secret et stratégique
En réaction aux arrestations et aux sévices subis lors des manifestations, Edith Garrud devint instructrice officielle de l’Union Social et Politique des Femmes (WSPU). À l’abri des regards indiscrets, les suffragistes apprenaient à désarmer un policier, à déséquilibrer un assaillant ou à se relever après une chute. En 1913, Sylvia Pankhurst, figure emblématique du mouvement et fille d’Emmeline Pankhurst, déclara publiquement que « la police connaît le jiu-jitsu, il est temps que nous le pratiquions aussi bien qu’eux ». Cette prise de position offrit une caution morale et médiatique à la discipline, jusque-là perçue comme atypique pour des femmes bien nées.
Les « Amazoniennes » : garde rapprochée d’Emmeline Pankhurst
Pour protéger leur leader, Emmeline Pankhurst, de nouvelles arrestations « à l’emporte-pièce » ou de possibles agressions de la foule, Garrud forma un groupe d’une trentaine de femmes baptisé les « Bodyguards », puis surnommé « les Amazoniennes de Londres » par la presse. Cachant sous leurs robes eduardiennes des bâtons et de la détermination, elles assurèrent une protection rapprochée à Pankhurst lors des interventions les plus risquées.
- Installation discrète de bâtons et de gants renforcés pour contrer d’éventuelles violences.
- Entraînements intensifs à la self-défense, combinant clés articulaires et chutes contrôlées.
- Missions à haut risque, notamment lors d’événements publics et de meetings électoraux.
La « Bataille de Glasgow » : un exemple de résistance organisée
Début 1914, Emmeline Pankhurst était invitée à prendre la parole à St Andrew’s Hall, à Glasgow. La police, déterminée à l’arrêter dès son arrivée, encercla la salle. En quelques secondes, les Amazoniennes intervinrent : une trentaine de suffragistes formèrent un bouclier humain et mirent en fuite cinquante agents sur le plateau, sous les yeux de 4 000 spectateurs stupéfaits. Cette confrontation, surnommée la « Bataille de Glasgow », symbolise l’efficacité et l’audace de ce petit commando féminin entraîné au jiu-jitsu.
Un héritage souvent méconnu
La Première Guerre mondiale mit un terme provisoire aux actions directes de la WSPU. Avec l’adoption en 1918 de la Representation of the People Act, certaines femmes obtinrent enfin le droit de vote, et en 1928, l’égalité pleine et entière fut proclamée. Pour autant, le rôle d’Edith Garrud et de ses Amazones dans cette victoire citoyenne reste aujourd’hui encore trop peu évoqué.
Sur MadameMary.fr, nous aimons rappeler ces chapitres méconnus de l’émancipation féminine : ils nous montrent qu’à toute époque, l’alliance entre intelligence stratégique et cohésion collective peut faire tomber des barrières. Le « Suffrajitsu » n’est pas qu’une curiosité historique, c’est un exemple inspirant de solidarité active et de force intérieure.